Se faire offrir un solex pour ses déplacements dans les années soixante, même par ses parents, nécessitait de faire de beaux efforts pour le mériter autant que les remercier : ce n'était pas encore l'époque du "tout m'est dû" et les mentalités étaient bien différentes : on avait encore une véritable notion de l'argent difficile. Aussi, pour participer au budget familial et payer l'essence de mes promenades, pendant les vacances d'été le lycéen enfilait sa casquette de facteur auxiliaire.

Dès 6 heures du matin je rejoignais la salle de tri de la poste, pour mettre dans l'ordre des tournées les milliers de plis à distribuer à une population de plusieurs dizaines de milliers d'âmes réparties dans les villégiatures, les hôtels, campings, colonies de vacances, ... Généralement, à 8h le tri était terminé, et le bourg d'estivants encore endormis pouvait assister à une envolée de facteur depuis la place de la mairie et de la poste : les lourdes sacoches de cuir épais solide étaient pleines de dizaines de gros paquets de courrier ficelés, chacun enfourchait sa monture, et pour ma part mon fidèle solex repartait pour une tournée de plus à travers les rues principales du bourg, puis la montée vers le village de pêcheurs un peu plus haut, et enfin le circuit de la campagne et des plages "de derrière", avec une multitude de campings, colonies, ... et finir par quelques fermes isolées souvent accessibles par quelques chemins creux. Sans avoir vraiment mesuré, je pense pouvoir dire que "ma" tournée devait bien faire une bonne vingtaine de kilomètres, sur tous les revêtements, et par tous les reliefs : la raison pour laquelle j'avais l'autorisation particulière de faire cette tournée motorisée plutôt qu'à vélo.

Tous les jours sauf le dimanche, par tous les temps, mon fidèle dextrier se montrait à la hauteur de la situation. Et je n'ai pas souvenir de pannes mémorables qui m'aient obligé à finir à pied, heureusement pour moi compte-tenu de l'étendue de la tournée.